Dire ce texte. Une demande. <br />J’ai hésité longtemps avant de refaire. <br /><br />Il a fait partie, entre autres, <br />de mon audition – scène de tragédie classique – <br />pour mon entrée au Conservatoire. <br />Mais c’était il y a plus d’un demi-siècle. Déjà. <br />J’avais alors 20 ans. <br /><br />Encore une fois… et que pour le plaisir. <br />Sans prétention. <br />Et avec la même sincérité, <br />ce souvenir d’une jeunesse qui fuit ! <br /><br />Percé jusques au fond du cœur <br />D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle, <br />Misérable vengeur d’une juste querelle, <br />Et malheureux objet d’une injuste rigueur, <br />Je demeure immobile, et mon âme abattue <br />Cède au coup qui me tue. <br />Si près de voir mon feu récompensé, <br />Ô Dieu, l’étrange peine ! <br />En cet affront mon père est l’offensé, <br />Et l’offenseur le père de Chimène ! <br /><br />Que je sens de rudes combats ! <br />Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse : <br />Il faut venger un père, et perdre une maîtresse : <br />L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras. <br />Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme, <br />Ou de vivre en infâme, <br />Des deux côtés mon mal est infini. <br />Ô Dieu, l’étrange peine ! <br />Faut-il laisser un affront impuni ? <br />Faut-il punir le père de Chimène ? <br /><br />Père, maîtresse, honneur, amour, <br />Noble et dure contrainte, aimable tyrannie, <br />Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie. <br />L’un me rend malheureux, l’autre indigne du jour. <br />Cher et cruel espoir d’une âme généreuse, <br />Mais ensemble amoureuse, <br />Digne ennemi de mon plus grand bonheur, <br />Fer qui causes ma peine, <br />M’es-tu donné pour venger mon honneur ? <br />M’es-tu donné pour perdre ma Chimène ? <br /><br />Il vaut mieux courir au trépas. <br />Je dois à ma maîtresse aussi bien qu’à mon père : <br />J’attire en me vengeant sa haine et sa colère ; <br />J’attire ses mépris en ne me vengeant pas. <br />À mon plus doux espoir l’un me rend infidèle, <br />Et l’autre indigne d’elle. <br />Mon mal augmente à le vouloir guérir ; <br />Tout redouble ma peine. <br />Allons, mon âme ; et puisqu’il faut mourir, <br />Mourons du moins sans offenser Chimène. <br /><br />Mourir sans tirer ma raison ! <br />Rechercher un trépas si mortel à ma gloire ! <br />Endurer que l’Espagne impute à ma mémoire <br />D’avoir mal soutenu l’honneur de ma maison ! <br />Respecter un amour dont mon âme égarée <br />Voit la perte assurée ! <br />N’écoutons plus ce penser suborneur, <br />Qui ne sert qu’à ma peine. <br />Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur, <br />Puisqu’après tout il faut perdre Chimène. <br /><br />Oui, mon esprit s’était déçu. <br />Je dois tout à mon père avant qu’à ma maîtresse : <br />Que je meure au combat, ou meure de tristesse, <br />Je rendrai mon sang pur comme je l’ai reçu. <br />Je m’accuse déjà de trop de négligence : <br />Courons à la vengeance ; <br />Et tout honteux d’avoir tant balancé, <br />Ne soyons plus en peine, <br />Puisqu’aujourd’hui mon père est l’offensé, <br />Si l’offenseur est père de Chimène. <br /><br />Pour une écoute plurielle : <br />par Gérard Philipe (deux enregistrements) <br />http://www.youtube.com/watch?v=oqOWnA8b0Rs <br /><br />http://www.youtube.com/watch?v=vCXMbuPsH64 <br /><br />par André Nerman <br />http://wheatoncollege.edu/vive-voix/poemes/le-cid-stances-de-don-rodrigue-extrait/ <br /><br />André Nerman <br />http://andrenerman.com/
