LE VIEUX MONDE <br /> <br />Ô flot, c'est bien. Descends maintenant. Il le faut. <br />Jamais ton flux encor n'était monté si haut. <br />Mais pourquoi donc es-tu si sombre et si farouche ? <br />Pourquoi ton gouffre a-t-il un cri comme une bouche ? <br />Pourquoi cette pluie âpre, et cette ombre, et ces bruits, <br />Et ce vent noir soufflant dans le clairon des nuits ? <br />Ta vague monte avec la rumeur d'un prodige <br />C'est ici ta limite. Arrête-toi, te dis-je. <br />Les vieilles lois, les vieux obstacles, les vieux freins, <br />Ignorance, misère et néant, souterrains <br />Où meurt le fol espoir, bagnes profonds de l'âme, <br />L'ancienne autorité de l'homme sur la femme, <br />Le grand banquet, muré pour les déshérités, <br />Les superstitions et les fatalités, <br />N'y touche pas, va-t'en ; ce sont les choses saintes. <br />Redescends, et tais-toi ! j'ai construit ces enceintes <br />Autour du genre humain et j'ai bâti ces tours. <br />Mais tu rugis toujours ! mais tu montes toujours ! <br />Tout s'en va pêle-mêle à ton choc frénétique. <br />Voici le vieux missel, voici le code antique. <br />L'échafaud dans un pli de ta vague a passé. <br />Ne touche pas au roi ! ciel ! il est renversé. <br />Et ces hommes sacrés ! je les vois disparaître. <br />Arrête ! c'est le juge. Arrête ! c'est le prêtre. <br />Dieu t'a dit : Ne va pas plus loin, ô flot amer ! <br />Mais quoi ! tu m'engloutis ! au secours, Dieu ! la mer <br />Désobéit ! la mer envahit mon refuge ! <br /> <br />LE FLOT <br /> <br />Tu me crois la marée et je suis le déluge.<br /><br />Victor Marie Hugo<br /><br />http://www.poemhunter.com/poem/dans-l-ombre/