O délices d'amour! et toi, molle paresse, <br />Vous aurez donc usé mon oisive jeunesse! <br />Les belles sont partout. Pour chercher les beaux-arts, <br />Des Alpes vainement j'ai franchi les remparts; <br />Rome d'amours en foule assiège mon asile, <br />Sage vieillesse, accours! Ô déesse tranquille, <br />De ma jeune saison éteins ces feux brûlants, <br />Sage vieillesse! Heureux qui, dès ses premiers ans, <br />A senti de son sang, dans ses veines stagnantes, <br />Couler d'un pas égal les ondes languissantes; <br />Dont les désirs jamais n'ont troublé la raison; <br />Pour qui les yeux n'ont point de suave poison; <br />Au sein de qui jamais une absente perdue <br />N'a laissé l'aiguillon d'une trop belle vue; <br />Qui, s'il regarde et loue un front si gracieux, <br />Ne le voit plus, sitôt qu'il n'est plus sous ses yeux! <br />Doux et cruels tyrans, brillantes héroïnes, <br />Femmes, de ma mémoire habitantes divines, <br />Fantômes enchanteurs, cessez de m'égarer. <br />O mon coeur! ô mes sens! laissez-moi respirer. <br />Laissez-moi dans la paix de l'ombre solitaire <br />Travailler à loisir quelque oeuvre noble et fière <br />Qui, sur l'amas des temps propre à se maintenir, <br />Me recommande aux yeux des âges à venir. <br />Mais, non! j'implore en vain un repos favorable; <br />Je t'appartiens, Amour, Amour inexorable!<br /><br />Andre Marie de Chenier<br /><br />http://www.poemhunter.com/poem/o-delices-d-amour/