Blanche et douce colombe, aimable prisonnière, <br />Quel injuste ennemi te cache à la lumière? <br />Je t'ai vue aujourd'hui (que le ciel était beau!) <br />Te promener longtemps sur le bord du ruisseau, <br />Au hasard, en tous lieux, languissante, muette, <br />Tournant tes doux regards et tes pas et ta tête. <br />Caché dans le feuillage, et n'osant l'agiter, <br />D'un rameau sur un autre à peine osant sauter, <br />J'avais peur que le vent décelât mon asile. <br />Tout seul je gémissais, sur moi-même immobile, <br />De ne pouvoir aller, le ciel était si beau! <br />Promener avec toi sur le bord du ruisseau. <br /> <br />Car, si j'avais osé, sortant de ma retraite, <br />Près de ta tête amie aller porter ma tête, <br />Avec toi murmurer et fouler sous mes pas <br />Le même pré foulé sous tes pieds délicats, <br />Mes ailes et ma voix auraient frémi de joie, <br />Et les noirs ennemis, les deux oiseaux de proie, <br />Ces gardiens envieux qui te suivent toujours, <br />Auraient connu soudain que tu fais mes amours. <br />Tous les deux à l'instant, timide prisonnière, <br />T'auraient, dans ta prison, ravie à la lumière, <br />Et tu ne viendrais plus, quand le ciel sera beau, <br />Te promener encor sur le bord du ruisseau. <br /> <br />Blanche et douce brebis à la voix innocente, <br />Si j'avais, pour toucher ta laine obéissante, <br />Osé sortir du bois et bondir avec toi, <br />Te bêler mes amours et t'appeler à moi, <br />Les deux loups soupçonneux qui marchaient à ta suite <br />M'auraient vu. Par leurs cris ils t'auraient mise en fuite, <br />Et pour te dévorer eussent fondu sur toi <br />Plutôt que te laisser un moment avec moi.<br /><br />Andre Marie de Chenier<br /><br />http://www.poemhunter.com/poem/blanche-et-douce-colombe/
