Un texte inédit de Rimbaud, découvert tout récemment et qui date de novembre 1870 : "le rêve de Bismarck" (Progrès des Ardennes) <br />Rimbaud avait 16 ans... Nabe, déjà une dent...<br /><br />Le rêve de Bismarck<br />(Fantaisie)<br />C'est le soir. Sous sa tente, pleine de silence et de rêve, Bismarck, un doigt sur la carte de France, médite ; de son immense pipe s'échappe un filet bleu.<br />Bismarck médite. Son petit index crochu chemine, sur le vélin, du Rhin à la Moselle, de la Moselle à la Seine ; de l'ongle, il a rayé imperceptiblement le papier autour de Strasbourg : il passe outre.<br />A Sarrebruck, à Wissembourg, à Woerth, à Sedan, il tressaille, le petit doigt crochu : il caresse Nancy, égratigne Bitche et Phalsbourg, raie Metz, trace sur les frontières de petites lignes brisées, — et s'arrête…<br />Triomphant, Bismarck a couvert de son index l'Alsace et la Lorraine ! — Oh ! sous son crâne jaune, quels délires d'avare ! Quels délicieux nuages de fumée répand sa pipe bienheureuse !…<br />Bismarck médite. Tiens ! un gros point noir semble arrêter l'index frétillant. C'est Paris.<br />Donc, le petit ongle mauvais, de rayer, de rayer le papier, de ci, de là, avec rage, — enfin, de s'arrêter… Le doigt reste là, moitié plié, immobile.<br />Paris ! Paris ! — Puis, le bonhomme a tant rêvé l'œil ouvert, que, doucement, la somnolence s'empare de lui : son front se penche vers le papier ; machinalement, le fourneau de sa pipe, échappée à ses lèvres, s'abat sur le vilain point noir…<br />Hi ! povero ! en abandonnant sa pauvre tête, son nez, le nez de M. Otto de Bismarck, s'est plongé dans le fourneau ardent… Hi ! povero ! va povero ! dans le fourneau incandescent de la pipe…, Hi ! povero ! Son index était sur Paris !… Fini, le rêve glorieux !<br />Il était si fin, si spirituel, si heureux, ce nez de vieux premier diplomate ! — Cachez, cachez ce nez !…<br />Eh bien ! mon cher, quand, pour partager la choucroute royale, vous rentrerez au palais<br />(lignes manquantes)<br />Voilà ! fallait pas rêvasser !
