Ô mes lettres d'amour (1831)<br />Victor Hugo (1802-1885)<br /><br />Ô mes lettres d'amour, de vertu, de jeunesse,<br />C'est donc vous ! Je m'enivre encore à votre ivresse ;<br />Je vous lis à genoux.<br />Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge !<br />Laissez-moi me cacher, moi, l'heureux et le sage,<br />Pour pleurer avec vous !<br /><br />J'avais donc dix-huit ans ! J’étais donc plein de songes !<br />L'espérance en chantant me berçait de mensonges.<br />Un astre m'avait lui !<br />J'étais un dieu pour toi qu'en mon cœur seul je nomme !<br />J'étais donc cet enfant, hélas ! Devant qui l'homme<br />Rougit presque aujourd'hui !<br /><br />Ô temps de rêverie, et de force, et de grâce !<br />Attendre tous les soirs une robe qui passe !<br />Baiser un gant jeté !<br />Vouloir tout de la vie, amour, puissance et gloire !<br />Etre pur, être fier, être sublime, et croire<br />À toute pureté !<br /><br />À présent, j'ai senti, j'ai vu, je sais. Qu'importe<br />Si moins d'illusions viennent ouvrir ma porte<br />Qui gémit en tournant !<br />Oh ! Que cet âge ardent, qui me semblait si sombre,<br />À côté du bonheur qui m'abrite à son ombre,<br />Rayonne maintenant !<br /><br />Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années,<br />Pour m'avoir fui si vite, et vous être éloignées,<br />Me croyant satisfait ?<br />Hélas ! Pour revenir m'apparaître si belles,<br />Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes,<br />Que vous ai-je donc fait ?<br /><br />Oh ! quand ce doux passé, quand cet âge sans tache,<br />Avec sa robe blanche où notre amour s'attache,<br />Revient dans nos chemins,<br />On s'y suspend, et puis que de larmes amères<br />Sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères<br />Qui vous restent aux mains !<br /><br />Oublions ! Oublions ! Quand la jeunesse est morte,<br />Laissons-nous emporter par le vent qui l'emporte<br />À l'horizon obscur.<br />Rien ne reste de nous ; notre œuvre est un problème.<br />L'homme, fantôme errant, passe sans laisser même<br />Son ombre sur le mur !<br /><br />
