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Ou donc est le bonheur de Victor Hugo

2012-11-10 1 Dailymotion

Sed satis est jam posse mori. - Lucain. °<br /><br /> "Où donc est le bonheur ?", disais-je. - Infortuné !<br /> Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné. <br /><br /> Naître, et ne pas savoir que l'enfance éphémère,<br /> Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère,<br /> Est l'âge du bonheur, et le plus beau moment<br /> Que l'homme, ombre qui passe, ait sous le firmament ! <br /><br /> Plus tard, aimer, garder dans son coeur de jeune homme<br /> Un nom mystérieux que jamais on ne nomme,<br /> Glisser un mot furtif dans une tendre main,<br /> Aspirer aux douceurs d'un ineffable hymen,<br /> Envier l'eau qui fuit, le nuage qui vole,<br /> Sentir son coeur se fondre au son d'une parole,<br /> Connaître un pas qu'on aime et que jaloux on suit,<br /> Rêver le jour, brûler et se tordre la nuit,<br /> Pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes,<br /> Toujours souffrir ; parmi tous les regards de femmes,<br /> Tous les buissons d'avril, les feux du ciel vermeil,<br /> Ne chercher qu'un regard, qu'une fleur, qu'un soleil ! <br /><br /> Puis effeuiller en hâte et d'une main jalouse<br /> Les boutons d'orangers sur le front de l'épouse ;<br /> Tout sentir, être heureux, et pourtant, insensé !<br /> Se tourner presque en pleurs vers le malheur passé ;<br /> Voir aux feux de midi, sans espoir qu'il renaisse,<br /> Se faner son printemps, son matin, sa jeunesse,<br /> Perdre l'illusion, l'espérance, et sentir<br /> Qu'on vieillit au fardeau croissant du repentir ;<br /> Effacer de son front des taches et des rides ;<br /> S'éprendre d'art, de vers, de voyages arides,<br /> De cieux lointains, de mers où s'égarent nos pas ;<br /> Redemander cet âge où l'on ne dormait pas ;<br /> Se dire qu'on était bien malheureux, bien triste,<br /> Bien fou, que maintenant on respire, on existe,<br /> Et, plus vieux de dix ans, s'enfermer tout un jour<br /> Pour relire avec pleurs quelques lettres d'amour ! <br /><br /> Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées<br /> Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années,<br /> Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris,<br /> Boire le reste amer de ces parfums aigris,<br /> Être sage, et railler l'amant et le poète,<br /> Et, lorsque nous touchons à la tombe muette,<br /> Suivre en les rappelant d'un oeil mouillé de pleurs<br /> Nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs ! <br /><br /> Ainsi l'homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre<br /> Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d'ombre. <br /><br /> C'est donc avoir vécu ! c'est donc avoir été !<br /> Dans la joie et l'amour et la félicité<br /> C'est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie.<br /> Voilà de quel nectar la coupe était remplie ! <br /><br /> Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort !<br /> Grandir en regrettant l'enfance où le coeur dort,<br /> Vieillir en regrettant la jeunesse ravie,<br /> Mourir en regrettant la vieillesse et la vie ! <br /><br /> "Où donc est le bonheur ?", disais-je. - Infortuné !<br /> Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné !

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