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Le bâteau ivre d'Arthur Rimbaud

2012-11-17 2 Dailymotion

Comme je descendais des Fleuves impassibles,<br />Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :<br />Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,<br />Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.<br /><br />J'étais insoucieux de tous les équipages,<br />Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.<br />Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,<br />Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.<br /><br />Dans les clapotements furieux des marées,<br />Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,<br />Je courus ! Et les Péninsules démarrées<br />N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.<br /><br />La tempête a béni mes éveils maritimes.<br />Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots<br />Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,<br />Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !<br /><br />Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,<br />L'eau verte pénétra ma coque de sapin<br />Et des taches de vins bleus et des vomissures<br />Me lava, dispersant gouvernail et grappin.<br /><br />Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème<br />De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,<br />Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême<br />Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;<br /><br />Où, teignant tout à coup les bleuités, délires<br />Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,<br />Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,<br />Fermentent les rousseurs amères de l'amour !<br /><br />Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes<br />Et les ressacs et les courants : je sais le soir,<br />L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,<br />Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !<br /><br />J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,<br />Illuminant de longs figements violets,<br />Pareils à des acteurs de drames très antiques<br />Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !<br /><br />J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,<br />Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,<br />La circulation des sèves inouïes,<br />Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !<br /><br />J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries<br />Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,<br />Sans songer que les pieds lumineux des Maries<br />Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !<br /><br />J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides<br />Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux<br />D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides<br />Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !<br /><br />J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses<br />Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !<br />Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,<br />Et les lointains vers les gouffres cataractant !<br /><br />Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !<br />Échouages hideux au fond des golfes bruns<br />Où les serpents géants dévorés des punaises<br />Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !<br /><br />J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades<br />Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.<br />- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades<br />Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.<br /><br />Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,<br />La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux<br />Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses...

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