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Charles Baudelaire, Les femmes damnées I

2012-11-19 91 Dailymotion

Comme un bétail pensif sur le sable couchées,<br /> Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers,<br /> Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées<br /> Ont de douces langueurs et des frissons amers.<br /><br /> Les unes, cœurs épris des longues confidences,<br /> Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,<br /> Vont épelant l’amour des craintives enfances<br /> Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ;<br /><br /> D’autres, comme des sœurs, marchent lentes et graves<br /> À travers les rochers pleins d’apparitions,<br /> Où saint Antoine a vu surgir comme des laves<br /> Les seins nus et pourprés de ses tentations ;<br /><br /> Il en est, aux lueurs des résines croulantes,<br /> Qui dans le creux muet des vieux antres païens<br /> T’appellent au secours de leurs fièvres hurlantes,<br /> Ô Bacchus, endormeur des remords anciens ! <br /><br /> Et d’autres, dont la gorge aime les scapulaires<br /> Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements,<br /> Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires,<br /> L’écume du plaisir aux larmes des tourments.<br /><br /> Ô vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres,<br /> De la réalité grands esprits contempteurs,<br /> Chercheuses d’infini, dévotes et satyres,<br /> Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs,<br /><br /> Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies,<br /> Pauvres sœurs, je vous aime autant que je vous plains,<br /> Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies,<br /> Et les urnes d’amour dont vos grands cœurs sont pleins !

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