Hommage à la vie<br />Hommage à la poésie<br />Les mots du poète<br /><br />« Pour moi ce n’est qu’à force de simplicité et de transparence<br />que je parviens à aborder mes secrets essentiels<br />et à décanter ma poésie profonde ».<br />Jules Supervielle, ‘En songeant à un art poétique’.<br /><br />Pour tenter de ‘comprendre’ un poème :<br />le prendre tout entier comme il est<br />avec ses sens forcément multiples.<br />Se glisser en lui,<br />sans vouloir le posséder,<br />sans chercher à le disséquer,<br />car on risque alors de l’abîmer.<br /><br />Les mots du poète<br />sont comme autant de doigts qui pointent vers ses ‘secrets essentiels’<br />et comme nous dit la célèbre maxime du bouddhisme chinois :<br />« un doigt pointé vers la lune, c'est la lune qu'il faut regarder, pas le doigt ».<br /><br />Hommage à la Vie<br /><br />C'est beau d'avoir élu<br />Domicile vivant<br />Et de loger le temps<br />Dans un cœur continu,<br />Et d'avoir vu ses mains<br />Se poser sur le monde<br />Comme sur une pomme<br />Dans un petit jardin,<br />D'avoir aimé la terre,<br />La lune et le soleil,<br />Comme des familiers<br />Qui n'ont pas leurs pareils,<br />Et d'avoir confié<br />Le monde à sa mémoire<br />Comme un clair cavalier<br />A sa monture noire,<br />D'avoir donné visage<br />A ces mots : femme, enfants,<br />Et servi de rivage<br />A d'errants continents,<br />Et d'avoir atteint l'âme<br />A petit coups de rame<br />Pour ne l'effaroucher<br />D'une brusque approchée.<br />C'est beau d'avoir connu<br />L'ombre sous le feuillage<br />Et d'avoir senti l'âge<br />Ramper sur le corps nu,<br />Accompagné la peine<br />Du sang noir dans nos veines<br />Et doré son silence<br />De l'étoile Patience,<br />Et d'avoir tous ces mots<br />Qui bougent dans la tête,<br />De choisir les moins beaux<br />Pour leur faire un peu fête,<br />D'avoir senti la vie<br />Hâtive et mal aimée,<br />De l'avoir enfermée<br />Dans cette poésie.<br /><br />Jules Supervielle
