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Victor Hugo - Trois ans après

2012-12-13 73 Dailymotion

Il est temps que je me repose ;<br />Je suis terrassé par le sort.<br />Ne me parlez pas d'autre chose<br />Que des ténèbres où l'on dort !<br /><br />Que veut-on que je recommence ?<br />Je ne demande désormais<br />A la création immense<br />Qu'un peu de silence et de paix !<br /><br />Pourquoi m'appelez-vous encore ?<br />J'ai fait ma tâche et mon devoir.<br />Qui travaillait avant l'aurore,<br />Peut s'en aller avant le soir.<br /><br />A vingt ans, deuil et solitude !<br />Mes yeux, baissés vers le gazon,<br />Perdirent la douce habitude<br />De voir ma mère à la maison.<br /><br />Elle nous quitta pour la tombe ;<br />Et vous savez bien qu'aujourd'hui<br />Je cherche, en cette nuit qui tombe,<br />Un autre ange qui s'est enfui !<br /><br />Vous savez que je désespère,<br />Que ma force en vain se défend,<br />Et que je souffre comme père,<br />Moi qui souffris tant comme enfant !<br /><br />Mon oeuvre n'est pas terminée,<br />Dites-vous. Comme Adam banni,<br />Je regarde ma destinée,<br />Et je vois bien que j'ai fini.<br /><br />L'humble enfant que Dieu m'a ravie<br />Rien qu'en m'aimant savait m'aider ;<br />C'était le bonheur de ma vie<br />De voir ses yeux me regarder.<br /><br />Si ce Dieu n'a pas voulu clore<br />L'oeuvre qu'il me fit commencer,<br />S'il veut que je travaille encore,<br />Il n'avait qu'à me la laisser !<br /><br />Il n'avait qu'à me laisser vivre<br />Avec ma fille à mes côtés,<br />Dans cette extase où je m'enivre<br />De mystérieuses clartés !<br /><br />Ces clartés, jour d'une autre sphère,<br />Ô Dieu jaloux, tu nous les vends !<br />Pourquoi m'as-tu pris la lumière<br />Que j'avais parmi les vivants ?<br /><br />As-tu donc pensé, fatal maître,<br />Qu'à force de te contempler,<br />Je ne voyais plus ce doux être,<br />Et qu'il pouvait bien s'en aller ?<br /><br />T'es-tu dit que l'homme, vaine ombre,<br />Hélas! perd son humanité<br />A trop voir cette splendeur sombre<br />Qu'on appelle la vérité ?<br /><br />Qu'on peut le frapper sans qu'il souffre,<br />Que son coeur est mort dans l'ennui,<br />Et qu'à force de voir le gouffre,<br />Il n'a plus qu'un abîme en lui ?<br /><br />Qu'il va, stoïque, où tu l'envoies,<br />Et que désormais, endurci,<br />N'ayant plus ici-bas de joies,<br />Il n'a plus de douleurs aussi ?<br /><br />As-tu pensé qu'une âme tendre<br />S'ouvre à toi pour se mieux fermer,<br />Et que ceux qui veulent comprendre<br />Finissent par ne plus aimer ?<br /><br />Ô Dieu ! vraiment, as-tu pu croire<br />Que je préférais, sous les cieux,<br />L'effrayant rayon de ta gloire<br />Aux douces lueurs de ses yeux ?<br /><br />Si j'avais su tes lois moroses,<br />Et qu'au même esprit enchanté<br />Tu ne donnes point ces deux choses,<br />Le bonheur et la vérité,<br /><br />Plutôt que de lever tes voiles,<br />Et de chercher, coeur triste et pur,<br />A te voir au fond des étoiles,<br />Ô Dieu sombre d'un monde obscur,<br /><br />J'eusse aimé mieux, loin de ta face,<br />Suivre, heureux, un étroit chemin,<br />Et n'être qu'un homme qui passe<br />Tenant son enfant par la main !<br /><br />Maintenant, je veux qu'on me laisse ! <br />J'ai fini ! le sort est vainqueur. <br />Que vient-on rallumer sans cesse <br />Dans l'ombre qui m'emplit le coeur ? <br /><br />Vous qui me parlez, vous me dites <br />Qu'il faut, rappelant ma raison, <br />Guider les foules décrépites <br />Vers les lueurs de l'horizon ; <br />...

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