Ils gisent dans le champ terrible et solitaire. <br />Leur sang fait une mare affreuse sur la terre ; <br />Les vautours monstrueux fouillent leur ventre ouvert ; <br />Leurs corps farouches, froids, épars sur le pré vert, <br />Effroyables, tordus, noirs, ont toutes les formes <br />Que le tonnerre donne aux foudroyés énormes ; <br />Leur crâne est à la pierre aveugle ressemblant ; <br />La neige les modèle avec son linceul blanc ; <br />On dirait que leur main lugubre, âpre et crispée, <br />Tâche encor de chasser quelqu'un à coups d'épée ; <br />Ils n'ont pas de parole, ils n'ont pas de regard ; <br />Sur l'immobilité de leur sommeil hagard <br />Les nuits passent ; ils ont plus de chocs et de plaies <br />Que les suppliciés promenés sur des claies ; <br />Sous eux rampent le ver, la larve et la fourmi ; <br />Ils s'enfoncent déjà dans la terre à demi <br />Comme dans l'eau profonde un navire qui sombre ; <br />Leurs pâles os, couverts de pourriture et d'ombre, <br />Sont comme ceux auxquels Ézéchiel parlait ; <br />On voit partout sur eux l'affreux coup du boulet, <br />La balafre du sabre et le trou de la lance ; <br />Le vaste vent glacé souffle sur ce silence ; <br />Ils sont nus et sanglants sous le ciel pluvieux.<br /><br />Ô morts pour mon pays, je suis votre envieux.
