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Arthur Rimbaud - Les mains de Jeanne-Marie - Lecture de poésie en ligne

2013-03-03 79 Dailymotion

Jeanne-Marie a des mains fortes, <br /> Mains sombres que l'été tanna, <br /> Mains pâles comme des mains mortes. <br />— Sont-ce des mains de Juana ? <br /><br /> Ont-elles pris les crèmes brunes <br /> Sur les mares des voluptés ? <br /> Ont-elles trempé dans les lunes <br /> Aux étangs de sérénités ? <br /><br /> Ont-elles bu des cieux barbares, <br /> Calmes sur les genoux charmants ? <br /> Ont-elles roulé des cigares <br /> Ou trafiqué des diamants ? <br /><br /> Sur les pieds ardents des Madones <br /> Ont-elles fané des fleurs d'or ? <br /> C'est le sang noir des belladones <br /> Qui dans leur paume éclate et dort. <br /><br /> Mains chasseresses des diptères <br /> Dont bombinent les bleuisons <br /> Aurorales, vers les nectaires ? <br /> Mains décanteuses de poisons ? <br /><br /> Oh ! quel Rêve les a saisies <br /> Dans les pandiculations ? <br /> Un rêve inouï des Asies, <br /> Des Khenghavars ou des Sions ? <br /><br />— Ces mains n'ont pas vendu d'oranges, <br /> Ni bruni sur les pieds des dieux : <br /> Ces mains n'ont pas lavé les langes <br /> Des lourds petits enfants sans yeux. <br /><br /> Ce ne sont pas mains de cousine <br /> Ni d'ouvrières aux gros fronts <br /> Que brûle, aux bois puant l'usine, <br /> Un soleil ivre de goudrons. <br /><br /> Ce sont des ployeuses d'échines, <br /> Des mains qui ne font jamais mal, <br /> Plus fatales que des machines, <br /> Plus fortes que tout un cheval ! <br /><br /> Remuant comme des fournaises, <br /> Et secouant tous ses frissons, <br /> Leur chair chante des Marseillaises <br /> Et jamais les Eleisons ! <br /><br /> Ça serrerait vos cous, ô femmes <br /> Mauvaises, ça broierait vos mains, <br /> Femmes nobles, vos mains infâmes <br /> Pleines de blancs et de carmins. <br /><br /> L'éclat de ces mains amoureuses <br /> Tourne le crâne des brebis ! <br /> Dans leurs phalanges savoureuses <br /> Le grand soleil met un rubis ! <br /><br /> Une tache de populace <br /> Les brunit comme un sein d'hier ; <br /> Le dos de ces Mains est la place <br /> Qu'en baisa tout Révolté fier ! <br /><br /> Elles ont pâli, merveilleuses, <br /> Au grand soleil d'amour chargé, <br /> Sur le bronze des mitrailleuses <br /> À travers Paris insurgé ! <br /><br /> Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées, <br /> À vos poings, Mains où tremblent nos <br /> Lèvres jamais désenivrées, <br /> Crie une chaîne aux clairs anneaux ! <br /><br /> Et c'est un soubresaut étrange <br /> Dans nos êtres, quand, quelquefois, <br /> On veut vous déhâler, Mains d'ange, <br /> En vous faisant saigner les doigts !

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