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Victor Hugo - Georges et Jeanne - Lectures de poèmes

2013-03-14 122 Dailymotion

Moi qu'un petit enfant rend tout à fait stupide, <br /> J'en ai deux ; George et Jeanne ; et je prends l'un pour guide <br /> Et l'autre pour lumière, et j'accours à leur voix, <br /> Vu que George a deux ans et que Jeanne a dix mois. <br /> Leurs essais d'exister sont divinement gauches ; <br /> On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches, <br /> Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit ; <br /> Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit, <br /> Moi dont le destin pâle et froid se décolore, <br /> J'ai l'attendrissement de dire : Ils sont l'aurore. <br /> Leur dialogue obscur m'ouvre des horizons ; <br /> Ils s'entendent entr'eux, se donnent leurs raisons. <br /> Jugez comme cela disperse mes pensées. <br /> En moi, désirs, projets, les choses insensées, <br /> Les choses sages, tout, à leur tendre lueur, <br /> Tombe, et je ne suis plus qu'un bonhomme rêveur. <br /> Je ne sens plus la trouble et secrète secousse <br /> Du mal qui nous attire et du sort qui nous pousse. <br /> Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis. <br /> Je les regarde, et puis je les écoute, et puis <br /> Je suis bon, et mon cœur s'apaise en leur présence ; <br /> J'accepte les conseils sacrés de l'innocence, <br /> Je fus toute ma vie ainsi ; je n'ai jamais <br /> Rien connu, dans les deuils comme sur les sommets, <br /> De plus doux que l'oubli qui nous envahit l'âme <br /> Devant les êtres purs d'où monte une humble flamme ; <br /> Je contemple, en nos temps souvent noirs et ternis, <br /> Ce point du jour qui sort des berceaux et des nids. <br /><br /> Le soir je vais les voir dormir. Sur leurs fronts calmes. <br /> Je distingue ébloui l'ombre que font les palmes <br /> Et comme une clarté d'étoile à son lever, <br /> Et je me dis : À quoi peuvent-ils donc rêver ? <br /> Georges songe aux gâteaux, aux beaux jouets étranges, <br /> Au chien, au coq, au chat ; et Jeanne pense aux anges. <br /> Puis, au réveil, leurs yeux s'ouvrent, pleins de rayons. <br /><br /> Ils arrivent, hélas ! à l'heure où nous fuyons. <br /><br /> Ils jasent. Parlent-ils ? Oui, comme la fleur parle <br /> A la source des bois ; comme leur père Charle, <br /> Enfant, parlait jadis à leur tante Dédé ; <br /> Comme je vous parlais, de soleil inondé, <br /> Ô mes frères, au temps où mon père, jeune homme, <br /> Nous regardait jouer dans la caserne, à Rome, <br /> A cheval sur sa grande épée, et tout petits. <br /> Jeanne qui dans les yeux a le myosotis, <br /> Et qui, pour saisir l'ombre entr'ouvrant ses doigts frêles, <br /> N'a presque pas de bras ayant encor des ailes, <br /> Jeanne harangue, avec des chants où flotte un mot, <br /> Georges beau comme un dieu qui serait un marmot. <br /> Ce n'est pas la parole, ô ciel bleu, c'est le verbe ; <br /> C'est la langue infinie, innocente et superbe <br /> Que soupirent les vents, les forêts et les flots ; <br /> Les pilotes Jason, Palinure et Typhlos <br /> Entendaient la sirène avec cette voix douce <br /> Murmurer l'hymne obscur que l'eau profonde émousse ; <br /> C'est la musique éparse au fond du mois de mai <br /> Qui fait que l'un dit : J'aime, et l'autre, hélas : J'aimai ; <br /> C'est le langage vague et lumineux des êtres <br /> Nouveau-nés, que la vie attire à ses fenêtres, <br /> Et qui, devant avril, éperdus, hésitants, <br /> Bourdonnent à la vitre immense du printemps.

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