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Jules Barbey d'Aurevilly - La maîtresse rousse

2013-04-27 1 Dailymotion

Je pris pour maître, un jour, une rude Maîtresse, <br />Plus fauve qu'un jaguar, plus rousse qu'un lion ! <br />Je l'aimais ardemment, - âprement, - sans tendresse, <br />Avec possession plus qu'adoration ! <br />C'était ma rage, à moi ! la dernière folie <br />Qui saisit, - quand, touché par l'âge et le malheur, <br />On sent au fond de soi la jeunesse finie... <br />Car le soleil des jours monte encor dans la vie, <br />Qu'il s'en va baissant dans le coeur ! <br /><br />Je l'aimais et jamais je n'avais assez d'elle ! <br />Je lui disais : « Démon des dernières amours, <br />Salamandre d'enfer, à l'ivresse mortelle, <br />Quand les coeurs sont si froids, embrase-moi toujours ! <br />Verse-moi dans tes feux les feux que je regrette, <br />Ces beaux feux qu'autrefois j'allumais d'un regard ! <br />Rajeunis le rêveur, réchauffe le poète, <br />Et, puisqu'il faut mourir, que je meure, ô Fillette ! <br />Sous tes morsures de jaguar ! » <br /><br />Alors je la prenais, dans son corset de verre, <br />Et sur ma lèvre en feu, qu'elle enflammait encor, <br />J'aimais à la pencher, coupe ardente et légère, <br />Cette rousse beauté, ce poison dans de l'or ! <br />Et c'étaient des baisers !... Jamais, jamais vampire <br />Ne suça d'une enfant le cou charmant et frais <br />Comme moi je suçais, ô ma rousse hétaïre, <br />La lèvre de cristal où buvait mon délire <br />Et sur laquelle tu brûlais ! <br /><br />Et je sentais alors ta foudroyante haleine <br />Qui passait dans la mienne et, tombant dans mon coeur, <br />Y redoublait la vie, en effaçait la peine, <br />Et pour quelques instants en ravivait l'ardeur ! <br />Alors, Fille de Feu, maîtresse sans rivale, <br />J'aimais à me sentir incendié par toi <br />Et voulais m'endormir, l'air joyeux, le front pâle, <br />Sur un bûcher brillant, comme Sardanapale, <br />Et le bûcher était en moi ! <br /><br />" Ah ! du moins celle-là sait nous rester fidèle, - <br />Me disais-je, - et la main la retrouve toujours, <br />Toujours prête à qui l'aime et vit altéré d'elle, <br />Et veut dans son amour perdre tous ses amours ! " <br />Un jour elles s'en vont, nos plus chères maîtresses ; <br />Par elles, de l'Oubli nous buvons le poison, <br />Tandis que cette Rousse, indomptable aux caresses, <br />Peut nous tuer aussi, - mais à force d'ivresses, <br />Et non pas par la trahison ! <br /><br />Et je la préférais, féroce, mais sincère, <br />A ces douces beautés, au sourire trompeur, <br />Payant les coeurs loyaux d'un amour de faussaire... <br />Je savais sur quel coeur je dormais sur son coeur ! <br />L'or qu'elle me versait et qui dorait ma vie, <br />Soleillant dans ma coupe, était un vrai trésor ! <br />Aussi ce n'était pas pour le temps d'une orgie, <br />Mais pour l'éternité, que je l'avais choisie : <br />Ma compagne jusqu'à la mort ! <br /><br />Et toujours agrafée à moi comme une esclave, <br />Car le tyran se rive aux fers qu'il fait porter, <br />Je l'emportais partout dans son flacon de lave, <br />Ma topaze de feu, toujours près d'éclater ! <br />Je ressentais pour elle un amour de corsaire, <br />Un amour de sauvage, effréné, fol, ardent ! <br />Cet amour qu'Hégésippe avait, dans sa misère, <br />Qui nous tient lieu de tout, quand la vie est amère, <br />Et qui fit mourir Sheridan !

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